Reshad De Gerus nous a accordé une interview ce samedi 21 octobre dans l’après-midi avant de se qualifier pour les 4 heures de Portimao, dernière course de la saison ELMS.
Vous avez quitté très tôt la monoplace pour l’endurance. Etes-vous satisfait de cette décision ?
C’était un choix judicieux de ma part. Disons que les courses de monoplaces nous apprennent vraiment les bases du pilotage.
J’ai commencé par la Formule 4, puis je suis passé à la Formule 3, et j’ai ensuite vraiment voulu orienter ma carrière vers l’endurance. Cela m’a donc permis d’aborder le LMP2, les prototypes, avec des bases très solides et c’est pour cela que je m’en sors bien.
Vous avez décroché la pole position en début de saison (NDLR : à Barcelone en ELMS), vos équipiers sont très bons et expérimentés comme José María López, mais avez-vous eu une surprise lorsqu’ils vous ont laissé prendre la voiture ?
C’était une surprise pour plusieurs raisons car premièrement, je n’avais pas couru ni piloté depuis 7 mois car je n’avais fait que la première moitié de la saison ELMS en 2022 avec le Team DUQUEINE.
Je voulais faire les 24h du Mans pour acquérir de l’expérience, c’était mon objectif, puis j’ai arrêté la saison. Je ne suis donc retourné à Barcelone qu’avec ma nouvelle équipe Cool Racing.
Bien sûr, aux côtés de José Maria Lopez, je ne m’attendais pas à avoir ce rôle. Mais disons que son adaptation de l’hypercar au LMP2 a pris un peu de temps, évidemment, c’est un pilote accompli et il est très rapide, donc nous avons pensé qu’il serait plus judicieux que je fasse les qualifications.
C’était une grosse surprise pour moi de devoir faire cette tâche, mais cela montrait qu’ils avaient confiance en moi et le choix était bon puisque nous avons fait la pole !
Vous êtes en lice pour le top 2 du championnat. Une place pour se qualifier pour les 24h du Mans 2024 en LMP2. L’objectif dès le départ était-il de se qualifier ou de remporter le championnat ?
L’objectif était de remporter le championnat, évidemment avec la composition que nous avons, avec l’équipe que nous avons, nous avions le potentiel pour cela ! Actuellement, nous pouvons nous battre pour la deuxième place. Donc on va tout faire pour que ça se passe comme il se doit, et c’est super serré et le niveau de compétition est très relevé, tout le monde est capable de se battre pour la victoire sur chaque parcours donc c’est très intéressant, ça me permet en tant que jeune pilote pour progresser énormément.
Et puis oui, c’est une combinaison de plusieurs choses qui font que certains peuvent mieux gérer que d’autres à certains moments de la saison. L’objectif était de remporter le championnat, malheureusement nous ne sommes plus dans la course.
Nous sommes toujours en course pour terminer sur le podium et deuxième. Donc, ce serait vraiment bien pour nous de nous assurer une place supplémentaire pour Le Mans, puisque Cool Racing a déjà une place avec sa victoire en LMP3 (NDLR : la Cool Racing LMP3 #17 a remporté le championnat ELMS LMP3 2023 et donc le ticket promise au vainqueur de cette catégorie pour les 24h du Mans 2024 en LMP2).
Ce serait bien pour l’équipe d’avoir deux voitures au Mans l’année prochaine.
Comment se déroulent vos collaborations avec Simon Pagenaud et José María López, vous donnent-ils des conseils ?
J’ai eu la chance de courir avec José dans la même voiture que la mienne, il y a Nicolas Lapierre qui court dans la n°37 (NDLR : encore une voiture Cool Racing en ELMS) et la surprise de pouvoir courir avec Simon Pagenaud pendant les 24 heures du Mans !
Ces pilotes ont tellement d’expérience et ils m’ont beaucoup apporté. J’essaie vraiment d’apprendre le plus possible d’eux et cela me permet de progresser rapidement !
Honnêtement, c’est génial de travailler avec ces gens. Leurs parcours, leurs différentes expériences dans d’autres voitures dans lesquelles ils ont pu rouler, et les constructeurs avec lesquels ils ont pu courir leur ont permis de comprendre ce que ces équipes attendent des pilotes d’usine, et c’est mon objectif de devenir pilote. pour un fabricant.
C’est donc vraiment une expérience incroyable et nous apprenons beaucoup chaque jour et c’est très intéressant.
Et désormais, vous donnez des conseils à la jeune génération, Lorens Lecertua (chauffeur de 16 ans et nouvellement Alpin Champion de la Coupe d’Europe 2023) chante vos louanges dans le magazine Auto Hebdo n°2434 du 18 octobre en tant que coach sur les problématiques mentales, physiques et de conduite. Est-ce important pour vous de donner des conseils à votre tour ?
Après mon bac, j’avais différentes options pour l’avenir, je voulais faire une école d’ingénieur, mais ce n’était pas possible avec mon emploi du temps chargé avec les courses, j’ai donc obtenu un diplôme pour devenir coach sportif.
C’était vraiment quelque chose qui venait de la Réunion à mon arrivée en France métropolitaine, j’aurais aimé que quelqu’un soit là pour m’apprendre les bases et me guider.
Cela m’a donc toujours tenu à cœur de pouvoir transmettre ce que j’ai appris aux plus jeunes. Il faut qu’ils puissent progresser le plus vite possible, c’est pourquoi je m’occupe de Lorens depuis deux ans et cette année il a remporté le championnat Alpine Elfe Europa Cup.
C’est donc une grande fierté pour moi d’avoir pu l’accompagner et de continuer à l’accompagner.
Vous l’accompagnez à presque tous les niveaux. Il ne s’agit pas seulement de conduite, mais aussi de nutrition, de mentalité…
Les gens de l’extérieur ne voient pas forcément l’effort qu’il faut pour piloter, on voit les pilotes rouler sur la piste à la télé, mais on ne se rend pas compte de la préparation qu’il y a derrière pour atteindre ce niveau.
Il y a la préparation physique, la préparation mentale évidemment, la nutrition, le sommeil (surtout sur les courses de 24 heures) donc c’est important pour moi d’enseigner cela aux jeunes générations pour leur permettre de progresser le plus vite possible.
De nos jours, les carrières commencent de plus en plus tôt, il y a quelques années, si l’on regarde la F1, la tranche d’âge des pilotes était beaucoup plus élevée, maintenant entre 18 et 20 ans, ils atteignent le sommet.
Il est donc très important qu’ils comprennent cela le plus rapidement possible car je pense que c’est vraiment un gain de temps.
Vous êtes le pilote de réserve d’Alpine. Quelles sont vos missions en tant que pilote de réserve en endurance ? On connaît de plus en plus le rôle du pilote de réserve en F1. Le rôle est-il différent en endurance ?
C’est un peu différent car généralement en endurance, on n’a pas vraiment de pilote de réserve. Mais disons cela pour des raisons bien particulières cette année.
Alpine souhaitait m’embaucher comme pilote de réserve car je courais avec le team Cool Racing, cela facilitait la communication depuis Nicolas (NDLR : Nicolas Lapierre est pilote officiel et de développement de la future hypercar Alpine Endurance et court également pour Cool Racing en ELMS ) et cela permet à Alpine d’avoir toutes mes données et d’avoir des retours sur moi et mes performances en course.
Mes tâches en tant que pilote de réserve sont d’abord d’être présent en cas de problème avec un pilote, si l’un d’eux est blessé ou malade, je peux monter dans la voiture (NDLR : prendre le relais en LMP2 en WEC).
Je participe aux meetings, aux débriefings des courses, et on essaie de préparer l’avenir ensemble, même si rien n’est encore fait, l’année prochaine ils franchissent le pas, Alpine revient en Hypercar en WEC avec sa nouvelle voiture, qui est ça va être un grand défi pour eux.
Et oui, c’est un objectif pour moi de faire partie de cette équipe un jour, c’est certain.
Ce poste vous permet-il également de participer au développement de la nouvelle Alpine Hypercar qui roule actuellement sur différents circuits ?
En ce moment, c’est vrai qu’ils sont en plein développement. Donc pour l’instant, ils sont vraiment concentrés là-dessus avec leurs pilotes confirmés qui ont de l’expérience dans la catégorie reine en hypercar, des pilotes très professionnels.
Je suis vraiment un jeune pilote, c’est ma première saison complète en endurance en LMP2 donc Alpine parie sur moi pour la suite, pour l’instant, je me concentre sur mon entraînement avec Nico, avec le team Cool Racing et si ça se passe bien J’espère le devenir un jour (NDLR : devenir pilote officiel d’Alpine Hypercar).
Déjà deux participations aux 24h du Mans à 20 ans, est-ce que ça aide pour l’expérience et le pilotage ?
Faire les 24 Heures du Mans, c’est comme faire une saison entière. En une semaine car pour les 24 Heures du Mans, nous sommes sur un circuit pendant une semaine entière.
Nous avons des tests le dimanche avant la course, c’est une semaine super longue. Nous avons des conditions qui changent jour après jour, il faut donc s’adapter, bien travailler avec l’équipe. C’est vraiment le moment où l’on noue des liens forts avec tout le monde, passer une semaine avec toute une équipe, c’est quelque chose. Et j’ai eu la chance de l’avoir déjà fait deux fois.
Du coup, je n’avais même pas 19 ans lorsque j’ai fait mes deux participations, c’est vraiment exceptionnel, ça permet d’apprendre beaucoup ! On apprend aussi à gérer une course de 24 heures car en ELMS on ne fait que des courses de 4 heures, ce sont vraiment des courses « sprint » alors que gérer une course de 24 heures est complètement différent dans Apoproach. Même dans les réglages de la voiture etc. Nous allons être beaucoup moins agressifs dans le pilotage lors de ces courses. C’est très enrichissant. De plus, j’ai eu la chance de rouler avec Pagenaud comme nous l’avons mentionné. Tout est positif et j’espère y retourner l’année prochaine.
Venant de La Réunion, avez-vous plus de mal à vous faire un nom, à vous faire remarquer, il faut aussi quitter l’île assez jeune pour venir courir sur le vieux continent, est-ce que tout cela a été difficile ?
Je pense que rien n’est facile dans la vie, après, il s’agit de savoir ce qu’on veut. Je pense que dès mon plus jeune âge, j’ai commencé le karting à l’âge de 5 ans à la Réunion et j’ai toujours adoré ça.
J’ai essayé d’autres sports et cela ne m’a jamais autant attiré que les voitures. En 2017, alors que j’avais 14 ans, j’ai dû prendre une décision. J’en avais conscience, soit je restais à la Réunion, sur mon île et j’arrêtais le sport automobile, soit je venais en France métropolitaine pour tenter ma chance et continuer ce que j’aime et essayer de devenir pilote professionnel.
J’ai rejoint la FSA Academy et j’ai déménagé au Mans, donc j’ai déménagé. Je suis venue vivre seule ici et cela m’a beaucoup changé. Ce n’était pas facile. Le premier hiver a été dur, mais quand on regarde le parcours et où je suis maintenant, je n’ai rien volé, c’est mérité. Cela me rend vraiment heureux de pouvoir piloter à ce niveau et d’afficher de bonnes performances comme je le fais.
C’est une vraie fierté pour moi de représenter La Réunion à ce niveau aux 24h du Mans en 2022 et 2023, nous arborons le drapeau de La Réunion sur la grille de départ, c’est quelque chose !
Beaucoup de gens ne me connaissaient pas, par exemple cette année au Mans et j’ai participé à l’hyper pole, il y a des pilotes professionnels sur la grille de départ, j’ai commencé à côté de Kubica et Kvyat, de très grands noms, et ces gens, ils viennent vers moi et me disent « d’où viens-tu ? D’où viens-tu? Quel est ce drapeau ? et c’est là que j’explique La Réunion et je leur montre sur Google Maps la petite île, je zoome beaucoup et leur montre.
Et ils me disent « respect » parce qu’il n’y en a pas beaucoup qui pourraient faire ce que tu as fait. Quand on a ce genre de retours de la part de pilotes aussi expérimentés, ça fait plaisir !
Vous revenez souvent avec votre emploi du temps chargé et vous avez des projets sur l’île pour aider les autres chauffeurs réunionnais ?
J’essaie d’y retourner assez souvent, au moins une fois par an, généralement pour les fêtes de fin d’année, si j’ai le temps, j’y retourne aussi pour les vacances de juillet/août. Pour l’instant, je n’ai pas de projets là-bas car je suis vraiment concentré sur ma carrière et le travail d’entraîneur que je dois faire avec Lorens, c’est déjà beaucoup.
Après c’est sûr que pourquoi pas à l’avenir pouvoir aider les gens là-bas, ce serait vraiment un objectif parce que je suis parti de rien, donc pouvoir guider ces gens qui aimeraient franchir le pas comme moi, ce serait quelque chose que j’aimerais beaucoup faire, que j’aimerais entreprendre.
Merci d’avoir pris le temps de répondre à nos questions, une dernière sur une note plus légère, avez-vous déposé votre CV de pilote sur le bureau de Bruno Famin (Vice Président « Motor Sport » du team Alpine F1 et Endurance) pour piloter l’Hypercar en WEC l’année prochaine?
Évidemment, étant pilote de réserve pour eux cette année, j’ai dû laisser tomber mon CV, donc nous verrons ce qui est réalisable à l’avenir, l’objectif serait de continuer à contribuer et à travailler avec l’équipe. J’espère donc mieux répondre à votre question d’ici la fin de l’année !
Ils sont encore en train de finaliser leur pilote officiel pour la saison prochaine, il y aura donc de gros frappeurs, la seule chose que je peux dire c’est qu’il y aura de grands noms !
Merci beaucoup Reshad de Gerus d’avoir répondu à nos questions.